DOSSIER ENSEIGNEMENT I - dupé, le journal d'UP7, juin 1977

INTERVIEW DE CIRIANI PAR JEAN MAS ET FRÉDÉRIC METZINGER, ÉTUDIANTS DE SON ATELIER

(extrait de la revue « dupé » no 3 de juin 1977)

Comment êtes-vous entré à UP7?

Un jour GOMIS m'a téléphoné en me disant que TASTEMAIN lui proposait un atelier à UP7... et qu'il aurait aimé le monter avec moi. L'enseignement m'ayant toujours intéressé, nous avons donc créé cet atelier... avec au début deux enseignants pour cinq étudiants, tout cela dans l'ancienne école. Deux mois plus tard, nous sommes arrivés au Grand Palais, où on partageait les locaux avec UP5.

Aviez-vous, à l'origine, une conception de la pédagogie, de l'enseignement de l'architecture? Ou bien s'est-elle formée au contact des étudiants?

Elle s'est formée au fur et à mesure bien sûr, disons que mon expérience précédente, au Pérou, m'avait appris une chose, c'est qu'un enseignant doit être comme un enfant avec ses parents, passer sa vie à demander « Pourquoi ? » Pourquoi fais-tu ça, qu’est-ce que tu veux dire par là, etc… à l’étudiant, C’est tout ce que je savais grosso modo : qu’il fallait poser beaucoup de questions, et je comptais sur… disons sur ma « bibliothèque formelle » pour que l’échange soit possible. Évidemment l’enseignement juste après Mai 68 était totalement gouverné par la sociologie, ou par la politique. On ne faisait pas de politique, même si tout le monde croyait en faire. Je crois qu’aujourd’hui on fait peut-être plus de politique qu’à cette époque, mais tout le monde avait l’impression de faire des actes politiques dans l’architecture… donc il n’y avait pas d’architecture !  Il y avait de l’analyse, mais très vide, une grande littérature. On ne pouvait naturellement pas parler d’un beau dessin. On était très satisfait par tout ce qui pouvait être méthodologie, la méthodologie comme une manière d’approcher, une manière d’exprimer une vérité profonde. Tout le monde voulait être rassuré, méthode était le grand mot. Tout ça ne me donnait pas satisfaction ; en même temps je devais… équilibrer, je ne pouvais pas faire une pédagogie trop éloignée de ce que GOMIS pouvait dire, ou faire… disons que je marchais à 50%, parce que je considérais que nous faisions une équipe, et que les lois de l’équipe imposaient que l’on trouve une moyenne à l’intérieur de laquelle chacun trouve satisfaction.

Comment les choses ont-elles changé après le départ de GOMIS ?

À cette époque également il y a eu des problèmes à UP7, le départ de PINGUSSON. Il y eu des problèmes entre lui et MAYMONT 1, qui étaient en réalité des problèmes de DUGAS2 avec MAYMONT. DUGAS et moi, nous avions des objectifs différents, mais on était… disons assez copains ; il a un peu donné consigne aux étudiants qui ne partaient pas avec lui à Nanterre de venir chez moi. Ce qui a donné un afflux important de contestataires à l’atelier, avec un absentéisme chez TASTEMAIN.3 À l’époque il a été en quelque sorte châtié parce qu’il n’avait pas « séduit » les contestataires. Il n’y avait comme ateliers que ceux de MAYMONT, TASTEMAIN et CIRIANI (GOMIS).
Il y a eu le départ de GOMIS, qui fut un départ lent, il a eu une maladie longue, pénible. Il y a eu à ce moment-là une sorte de période de transition, une sorte de rodage pour l’Atelier. Ce ne fut pas une coupure profonde, non.

On est en quelle année ?

En 70/71. On peut appeler la période 69/70 « à la recherche d’une pédagogie ». Nous avons tout essayé au début, même la rotation dans les ateliers. C’était l’époque aussi où l’on traversait deux ou trois grèves par an, ce qui donnait un enseignement assez…haché. Puis, il y a eu cette période de rodage ; en même temps pour moi 71 c’est l’année du concours d’EVRY. C’est à ce moment qu’il y a eu à l’Atelier le fameux diplôme d’  « Archigroom » : neuf étudiants qui ont présenté un diplôme commun qui était en quelque sorte le dernier « jet » de Mai 68. C’était un projet de contestation et… ils réglaient leur problème avec moi. C’est à partir de ce moment-là que je me suis libéré pour faire une pédagogie architecturale.

Jusque-là je tenais encore beaucoup  compte des désirs des étudiants sur le type de pédagogie à avoir. Je tenais compte des désirs de GOMIS, d’une part, et en même temps des désirs des étudiants ; je travaillais à GRENOBLE où c’était un peu la même chose : on devait tenir compte des désirs des hommes politiques. Avec ce diplôme, donc, coupure du cordon ombilical, « Ciriani Caca » en quelque sorte. Tout cela c’est des choses que je commençais à comprendre, et à partir de ce moment-là j’ai pu traduire dans ma pédagogie tout ce qui est ma manière de travailler, professionnelle. Ce que je fais professionnellement maintenant d’une manière synthétique et simultanée, j’ai décortiqué le processus projectuel et je l’ai pris à l’envers pour reproduire ma méthode, mais en gardant uniquement les éléments concernant l’Architecture, qui doit être un élément autonome à l’École, sinon l’École deviendrait uniquement de la pratique professionnelle. Bien sûr, on doit construire, un architecte qui ne construit pas, qu’est-ce que c’est cette histoire-là ?
Que ce soit clair : l’Architecture ne peut pas s’enseigner, elle peut se pratiquer ; il y a une dialectique qui s’établit entre l’enseignant et l’étudiant, l’enseignant devient à ce moment-là une espèce de bibliothèque de savoir-faire architectural, disons intelligence architecturale, et c’est l’étudiant qui est le déclencheur de l’architecture qui doit être produite. Donc, c’est l’inverse de l’enseignant émetteur. Il y a bien sûr une méthode qui permet à l’étudiant de se « voir faire », ce n’est pas pour faire de l’Architecture, mais pour que l’étudiant se retrouve, qu’il fasse son apprentissage, qu’il passe à travers des « épreuves » qui vont lui permettre de savoir ce qu’il fait, ce qui lui plaît, ce à quoi il adhère… réfléchir, quoi ! réfléchir et faire en réfléchissant. La méthode ce n’est pas de lui apprendre qu’une porte fait 80 cm, c’est pas ça…

A ce propos, comment expliquez-vous que dans le cadre des rendus des projets à l’Ecole, on reconnaisse les projets de chez CIRIANI alors qu’ils sont le résultat d’une démarche de l’étudiant ?

Il y a deux choses à dire là-dessus : la première c’est que dans le phénomène du contraste tout ce qui est contrasté avec autre chose à l’air d’être pareil. Ça c’est la première explication. Parce que si vous parlez avec chacun de ces étudiants dont vous voyez qu’ils traduisent la même chose, vous verrez que les projets n’ont rien à voir les uns avec les autres. Donc il y a un phénomène de contraste qui joue et qui a joué un rôle important à l’UP, qui le joue moins maintenant qu’à l’école on commence à insister sur une pratique formelle. Il y a une chose que je n’arrive pas encore à m’expliquer : je n’arrive pas à savoir pourquoi deux étudiants qui ont vécu dans des milieux totalement différents, dès qu’ils se mettent à produire leurs premiers projets d’architecture, ces deux projets se ressemblent dans ce qu’ils ont de banal, dans ce qu’ils ont de gris. C’est impressionnant de voir que la première réaction d’un étudiant est de reproduire des effets architecturaux qui sont peut-être les plus mauvais. Donc, à travers un langage architectural un peu piloté, ils apprennent à manipuler un premier vocabulaire de base qui n’est pas celui de la banalité, d’accord ? D’un autre côté, je pense qu’il n’y a pas 36 000 vocabulaires, la seule chose que je sais c’est qu’on n’utilise pas un vocabulaire médiocre… Je considère pédagogiquement que faire faire à un étudiant une barre, et travailler l’Architecture d’une barre, cela apporte plus de maîtrise à l’étudiant que de lui faire travailler l’Architecture d’un élément souple, où il n’aura jamais la maîtrise de l’espace produit. On a l’impression d’une souplesse, on a l’impression d’une richesse, mais il n’y a pas de maîtrise et on est ici pour apprendre à maîtriser un problème, on n’est pas ici pour faire la meilleure Architecture. Donc, pour la cellule d’habitation, j’exige de tous les étudiants qu’ils fassent un carré, ce qui est un enseignement de LOUIS KAHN : il disait « quand vous ne savez pas quoi faire, vous démarrez par un carré parce qu’un carré est un non-choix, et si après vous n’arrivez pas à trouver une raison pour faire éclater le carré, vous faites le carré, il n’y a absolument aucune raison pour faire autre chose. » N’importe quel étudiant moyen de France démarre par un rectangle mal proportionné qui est toujours 3m sur 4m lorsque vous dites 12m2, c’est la réaction automatique, alors qu’au point de vue proportion c’est très mauvais 3 sur 4. Je ne crois pas non plus que le carré soit la panacée. Que ceci soit clair, le carré est un support pédagogique à l’intérieur duquel je maîtrise un vocabulaire dont on parlait tout à l’heure. Je peux expliquer à un étudiant comment, en faisant quelques déplacements dans ce carré se produit une situation d’espace. Je peux introduire un savoir presque scientifique, parce qu’on limite énormément le champ d’investigation, tandis que si l’on part sur une forme trop complexe, alors entre l’étudiant et moi se produit le rapport simplet : je suis d’accord/je ne suis pas d’accord/je suis contre. Ou bien j’ai une réponse qui soit la plus précise possible et qui ait une apparence de vérité, pour que l’étudiant puisse adhérer et donc se reconnaître à l’intérieur de son processus, ou bien ce sont des rapports de correction, c’est-à-dire des rapports qui consistent à projeter la subjectivité d’un enseignant sur la subjectivité d’une architecture ou d’un étudiant. Par contre, le but recherché, c’est de prendre un terrain commun, abstrait. C’est ce carré, sur lequel l’enseignant doit se montrer objectif. C’est-à-dire qu’en travaillant sur un octogone, mes capacités d’objectivité sont moindres parce qu’on a à surveiller huit angles. Pour le triangle, je me base sur une connaissance différente, c’est que de grands architectes se sont « cassé la gueule » dessus. Donc, il me semble que le triangle, même si c’est une figure fantastique qui a obsédé les architectes et qui continue de le faire, s’il est peut-être parfait, en le prenant je ne peux pas être l’aide que l’étudiant attend de moi. C’est la même chose pour ce qui concerne les toits ; j’avais d’ailleurs vu dans « DUPE » qu’on disait : toits en terrasses = CIRIANI, toits en pentes = MAYMONT ; ce sont des simplifications extrêmes qui permettent de se faire une petite idée mais au sujet desquelles je ne suis pas contre si l’étudiant s’explique, parce qu’en fait tout cela est architectural. Que l'étudiant ait l’impression qu’il y a un courant ici et un courant là, je trouve cela très bien. À l’époque où j’ai fait mes études, il existait deux tendances : les « rationalistes » d’un côté, qui suivions LE CORBUSIER et les « organiques » de l’autre, qui avaient F.L.WRIGHT comme « pape ». Et on se battait, c’était très enrichissant pour tout le monde.

Peut-être faudrait-il qu’il y ait confrontation, non confrontation au sens de conflit mais plutôt recherche de compréhension réciproque ? Quand vous parliez de ce conflit entre les « rationalistes » et les « organiques », il y avait à la fois discours et confrontation ?

Parce qu’il n’y avait pas de confrontation politique, parce que nous étions tous d’accord politiquement ; on avait donc la liberté de penser que nous étions à l’intérieur d’une autonomie architecturale. Ici, à l’UP, il n’y a pas de politique, il y a des idéologies, sous-jacentes d’ailleurs, pas exprimées. L’idéologie est quelque chose qui se transmet ; il y a des gens qui véhiculent une idéologie sans le savoir, il y a des gens qui sont très lucides vis-à-vis d’elle. Je ne dis pas ça pour changer quoi que ce soit, ma position est toute simple. Je dirais, ce qui peut paraître assez bizarre, que mes confrontations pédagogiques je les ai avec des gens d’UP6 et d’UP8 ; j’ai des amis enseignants dans ces deux UP, un peu avec UP1 aussi, mais pas dernièrement, parce que je suis en désaccord avec eux. D’ailleurs, il n’y a pas de conflit ouvert à UP7 parce que les raisons profondes de ce conflit ne sont pas présentes. Malgré cette impression de différences, nous sommes d’accord quand on regarde les choses en profondeur. Il y a toujours un niveau, un point, un secteur, une direction, je citerais HEBERT-STEVENS4 à l’École, avec lequel tout le monde finit par être d’accord ; on reconnaît HEBERT-STEVENS comme le centre d’UP7, le noyau. Chacun des professeurs d’UP7 a quelque chose en commun avec HEBERT-STEVENS. Dans tous les débats à l’École, où les ateliers se sont rendus autonomes, il y a un renvoi sur HEBERT-STEVENS —qui nage parfaitement bien— parce qu’il voit que, profondément il n’y a pas de grandes différences ; au fond de tout cela il y a un intérêt commun pour l’Architecture.

On peut regretter tout de même qu’il n’y ait pas à l’École une attitude plus claire ; parce qu’il y a, potentiellement, à l'intérieur de chacun des ateliers une architecture différente, qui n’utilise pas le même vocabulaire, qui ne véhicule pas forcément la même idéologie, qui ne sera pas la même. Pourquoi n’y a-t-il pas conflit entre les différentes conceptions de l’Architecture qui s’annoncent ?

Parce que les conceptions architecturales ne justifient pas ceci. Et en ce qui me concerne, je dirais que si j’avais le loisir d’être à mi-temps à l’Université… C’est pour cela que j’ai une position très ambiguë par rapport à la réforme de l’enseignement de l’Architecture ; en tant que praticien, j’aimerais continuer à être enseignant. Donc, je défends par intérêt, je dis bien par intérêt, le fait qu’il y ait la possibilité d’avoir un poste pour les praticiens, mais en tant qu’universitaire, je suis convaincu que le temps complet est mieux, parce que ce qui manque le plus dans les universités françaises c’est le niveau théorique.

Vous croyez donc qu’on peut dissocier la théorie et la pratique en architecture, c’est-à-dire qu’on peut avoir des enseignants qui ne soient que des théoriciens ?

Le problème est que je pense qu’un architecte doit, à un moment donné de sa vie, consacrer cinq à dix ans à l’Université à plein temps, après avoir construit ou avant de construire, je ne sais pas, le niveau est tout à fait différent : ce que les étudiants vont retirer de ça, c’est important, parce qu’il ne faut pas penser à l’enseignant, il faut penser à l’étudiant qui a le droit d’écouter le discours de quelqu’un non pollué par la pratique, comme il a le droit d’écouter le discours de quelqu’un qui est totalement à l’intérieur de cette pratique ; l’étudiant doit avoir les deux.

Doit-il avoir le choix des enseignants ?

Oui, bien sûr, mais il s’avère que certains enseignants s’améliorent à l’intérieur de l’enseignement et d’autres qui s’améliorent en tant qu’architectes avant de devenir enseignants ; il y a aussi des architectes qui considèrent ça comme un salaire. La proportion est grande des architectes salariés aux Affaires Culturelles qui font un faux enseignement, parce qu’ils ne peuvent pas le faire bien, parce que ça ne les intéresse pas, et ne viennent là que pour diriger les étudiants comme les « nègres » dans leurs agences. Le seul moyen qui soit possible pour améliorer cet état-là, c’est qu’il soit très difficile à un architecte de métier de rentrer à l’Université, qu’il n’y rentre que parce qu’il est appelé et parce que son œuvre est importante. De plus, la situation actuelle empêche d’avoir, ce que je trouve fondamental, des Chefs de Travaux Pratiques qui pourraient être de jeunes architectes n’ayant que deux ou trois ans d’expérience, par là même très proches des étudiants ; ce serait à eux de transmettre ce qu’on appelle les bases de l’enseignement. Ici, nous sommes des bêtes à tout faire, entre la première année et la sixième on doit brasser toutes les techniques, toutes les disciplines, tous les thèmes, tout ; nous n’avons pas de séminaires, nous n’avons pas de cadre propice, on est trop nombreux, alors c’est dramatique ; j’ai un atelier surpeuplé, et je ne peux pas empêcher les étudiants de venir, je n’en ai pas le droit ; face à un étudiant motivé, ce qui est l’idéal, un enseignant voit le rêve devenir réalité parce qu’il sait pouvoir le faire travailler ; parce qu’il sait que si l’étudiant veut travailler, dans le cadre de sa motivation, il en viendra à « SE VOIR FAIRE » ; je ne me fais aucun souci pour l’étudiant qui se voit faire : s’il veut faire de l’Architecture de « rondinelles » il la fera de manière cohérente, et c’est ça qui m’intéresse. Je veux qu’un architecte sache pourquoi il fait les choses ; à l’Atelier il fait des carrés pendant une année et puis après il fait ce qu’il veut, c’est son problème, ce n’est plus le mien.

Pourriez-vous nous résumer, en trois ou quatre points, les caractères élémentaires de votre pédagogie à l’Atelier ?

Je résume :                  réduction d’une thématique dans le but de la maîtriser,
§  inversion du processus projectuel visant une manipulation personnelle d’un vocabulaire,
§  reconnaissance de l’individualité de l’étudiant, de son autonomie projectuelle (ne pas noter un étudiant par rapport à d’autres).
Mais avant tout l’enthousiasme de l’enseignant pour l’architecture qui doit se transmettre à l’étudiant comme une chaleur.

Pour vous, le rapport enseignant/étudiant est donc très important ?

Oui, ce rapport est fondamental, très important. Après, le corollaire de ceci c’est que l’étudiant soit aussi motivé. Il n’y a rien de plus triste que de voir quelqu’un très enthousiaste pour l’Architecture en face d’un personnage blasé, c’est une perte d’énergie et ça ne va pas du tout. Alors, dès que ces deux éléments-là sont en jeu, tout est possible. Mais à l’intérieur de tous ces possibles, outre qu’il doit être sensible, l’enseignant doit être suffisamment intelligent pour ne pas brasser plus qu’il ne sait brasser, pour réduire ce qu’il doit transmettre et enfin pour savoir pousser l’étudiant jusqu’à son point de rupture. Pour que ce personnage qui s’appelle un étudiant, pendant cinq ou six ans à l’école, ait une fois dans sa vie quelqu’un qui l’ait poussé à l’extrême de lui-même, d’autant plus qu’on n’est pas sûr que ce sera le cas dans sa vie. Une fois qu’on a l’expérience d’avoir été poussé soi-même à l’extrême, on se connaît mieux.
De l’autre côté, il est bien évident que l’enseignant ne peut pas se permettre de construire n’importe quoi, c’est très important. Quand vous avez vu quelque chose de construit par TASTEMAIN, vous encaissez parfaitement bien une critique qu’il vous fait, parce que TASTEMAIN construit remarquablement bien. Lorsqu’on sait que son enseignant construit très bien, on est motivé, on est prêt à l’écouter, on est porté vers lui et on s’appuie sur lui ; la liaison réciproque est aussi vraie. Pour ce qui me concerne, quand je fais un projet ou que je dois en construire un, il faut que je les étonne, il faut qu’ils en soient fiers, et ça c’est fantastique.

Il vous apportent donc quelque chose ?

Mais oui, je suis en symbiose totale avec mes étudiants. La même exigence que j’ai avec eux, je l’ai pour moi en pensant à eux. On n’est plus seul pour faire son travail, on n’a plus le droit de faire n’importe quoi, on n’a plus le droit de trouver des astuces de discours et des prétextes de « fric ». On sait qu’une fois l’œuvre est construite toute l’histoire de sa construction n’a plus d’importance, même si le client a enlevé la moitié du budget sans qu’on ait rien pu faire. L’œuvre, elle, est construite et on n’est pas à côté de chacune des personnes qui viennent la voir pour lui expliquer : « Mais attention, là il manque quelque chose que je n’ai pas pu mettre ». Ce sont donc des rapports très étroits avec les étudiants, ce qui est épuisant ; pour les deux. Je suis obligé de m’intéresser à la connaissance de tous les proliférants5 même si je déteste les proliférants –parce qu’il faut que sur chaque manifestation architecturale j’aie un mot à dire, j’aie une explication à donner ; l’enseignant doit être un peu le réceptacle d’un maximum de connaissances… Donc, pour moi, la pédagogie est une affaire de responsabilités ; on s’assume en tant qu’enseignant et c’est ce qu’il y a de plus lourd à porter ; on ne peut plus dormir, on est obligé d’évaluer tout son temps.

(Suivaient ici des réflexions non reproduites de Ciriani sur son travail et sur l’actualité architecturale)

Hors micro : Ciriani considère chaque étudiant comme une individualité, comme un individu à part entière, et essaie de faire ressentir à chacun d’entre eux qu’il est unique ; de plus, il estime qu’il faut rester au moins trois ans avec le même enseignant pour que l’enseignement soit profitable. Dans le principe la rotation entre les différents ateliers est cependant intéressante bien que pratiquement difficile à réaliser. Il faut noter l’indépendance des deux enseignants de l’atelier : MAROTI s’occupe des étudiants du premier cycle, CIRIANI dirige les 3ème, 4ème et 5ème niveaux, et ils se partagent tous deux les diplômes.


NOTES rajoutées pour le blog

1 Paul MAYMONT fut à la base de la création d’UP7 où il tenait un rôle prépondérant.
2 Olivier DUGAS était le neveu et l’assistant de Georges-Henri PINGUSSON, partis tous deux à Nanterre suite à leur différend avec MAYMONT.
3 Pour Henri TASTEMAIN consulter  http://archiwebture.citechaillot.fr/fonds/FRAPN02_TASHE

4 François HEBERT-STEVENS, à l’occasion associé à Paul MAYMONT, enseignait l’histoire de l’art et était chargé des principes pédagogiques que devaient suivre les chefs d’ateliers.
5 L’architecture dite proliférante prônait l’accumulation d’unités semblables permettant de s’agrandir au gré des évolutions futures.